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Un train vaut mieux que deux tu l'auras!
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26 mars 2007

Matabiau by night

Un des grands plaisirs quand on voyage avec la SNCF, et j'espère sincèrement pour vous que vous l'avez expérimenté, c'est d'attendre dans une gare la nuit.

Ainsi, un jour que je patientais avant mon train pour Albi, aux alentours de minuit, je pus me livrer à d'intéressantes observations ethnologiques.

J'avais dû affronter quelques minutes plus tôt la rue Bayard, qui est comme le savent bien les Toulousains plutôt animée la nuit, entre prostituées, ivrognes et jeunes qui hurlent en Arabe. Mais cela n'avait rien de très surprenant à mes yeux. En revanche, à peine assis dans le hall de la gare de Toulouse-Matabiau, entre deux clochards plutôt pépères qui se donnaient des nouvelles l'un de l'autre, je remarquai l'étrange cheminement d'un jeune homme. Une Bible dans les mains, il lisait un passage de l'Ancien Testament (peut-être le Cantique des Cantiques) à voix haute, et concluait chaque passage par un "Amen, mesdames et messieurs, Amen" un peu plus fort. Une couronne de fleurs en plastique ornait ses cheveux. De temps à autre, il s'interrompait pour boire une gorgée d'eau (sic) et baragouinait des propos sans suite.

Lassé de ce spectacle, je souris et entamai la lecture d'un journal acheté pour le voyage. En face de moi, un autre garçon se livrait à la même activité. Pourtant, il fut très vite interrompu par un homme plus agé qui grommelait contre le prophète à couronne plastique, affirmant sa volonté "d'appeler les flics" et de "faire interner ce type là". L'homme courouçé faisait au final plus de bruit que son sujet d'ennervement. Je fronçai le sourcil et l'observai de haut en bas. Il aurait fait l'impression d'un homme bien habillé si l'on avait vu que son torse recouvert d'une chemise élégante et d'une cravate. Pourtant, le bas de son corps était glissé dans un pantalon de jogging mou, troué et assez  sale, qui jurait fortement avec le haut. Je continuai à l'observer un peu en coin (car je ne voulais pas être embêté). Il finit par se calmer et s'assoir à côté du jeune lecteur qui me faisait face. Je soupirai de soulagement. Le garçon, sur le banc en face, eut la réaction inverse et fit mine de se concentrer sur sa lecture. Cela ne découragea pas l'homme au jogging mou qui commença à lui parler comme s'il reprenait une conversation. Très vite, celle-ci s'avéra être une succession de blagues crades (du type "comment appelle-t-on la graisse autour du vagin? La femme.") auquelles le lecteur répondait initialement par un petit son poli, puis plus du tout. Très géné (car l'homme parlait fort), le garçon semblait chercher à disparaître dans le banc. J'hésitai à intervenir, mais l'homme ne semblant pas bien méchant, j'hésitai longuement ; je regardai alors ma montre : il était l'heure de partir.

Mon train arrivait. Je me levai, abandonnant le garçon à ce florilège d'insanités bénignes, et marchai vers le quai. Cependant, je croisai une famille intéressante. Mère obèse, monstrueuse, boursouflée, peut-être la plus grosse méduse que j'ai jamais vu, une mongolfière à vous justifier le voyage de nuit pour épargner la vue des autres passagers. Les deux enfants, sans atteindre ce degré de gonflement, évoquaient eux aussi des baudruches en formation. Le père vint rejoindre ce trio. Je me dis qu'il avait l'air plutôt normal, lui. C'est alors que je remarquai sa coupe de cheveux : tête rasée, avec juste une mèche teinte en rose au dessus du front. Les deux enfants avaient la même. Chose terrible que l'hérédité. Hélas, Mendel, que n'as-tu donné le moyen d'y échapper?

Aujourd'hui, je me demandes parfois si je ne devrais pas retourner dans les gares la nuit et écrire un roman. Au fond, qu'importe le déplacement, un roman de gare vaut mieux qu'un carnet de voyage.

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